LA MISERE DU MONDE: TEMOIGNAGE D’UN ENQUETEUR ETUDIANT

Autores

DOI:

https://doi.org/10.5216/ia.v48i2.77132

Palavras-chave:

Parcours Académique; Sociologie Bourdieusienne ; Histoire Sociale des Sciences Sociales

Resumo

Cet article décrit la manière dont, apprenti sociologue en formation, j’ai vécu l’enquête collective se concluant par la publication de La Misère du monde. Après un descriptif de ma trajectoire académique et de mon entrée progressive dans « la maison Bourdieu », je rapporte en me fondant sur les archives le projet initial de cette enquête et les inflexions méthodologiques auquel il donne lieu et aboutissant notamment à l’idée de l’entretien sociologique comme « exercice spirituel ». Puis je décris sa mise en place et conclus en parlant de la division du travail au sein du « collectif hiérarchisé » qui entourait Bourdieu. Afin de contribuer à l’histoire sociale des sciences sociales, j’ai essayé de sociologiser au maximum ce témoignage en le replaçant dans le contexte social et historique de l’époque.

MOTS CLES : Parcours Académique; Sociologie Bourdieusienne ; Histoire Sociale des Sciences Sociales.

Downloads

Não há dados estatísticos.

Biografia do Autor

Charles Soulié, Université Paris 8, Vincennes-Saint-Denis, Paris, França, charles.soulie@neuf.fr

Je suis maître de conférences au département de sociologie et d'anthropologie de l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis.

Maria Amália de Almeida Cunha, Universidade Federal de Minas Gerais (UFMG), Belo Horizonte, Minas Gerais, Brasil, amalia.fae@gmail.com

Possui graduação em Ciências Sociais pela Universidade Estadual Paulista Júlio de Mesquita Filho (1993), mestrado em Sociologia pela Universidade Estadual Paulista Júlio de Mesquita Filho (1997), doutorado em Educação pela Universidade Estadual de Campinas (2003,) doutorado sanduíche em Sociologia - Paris X - Nanterre (2001) e pós-doutorado em Educação pela Unicamp (2018). Atualmente é professora titular na Universidade Federal de Minas Gerais.

Referências

- Je remercie Christian Baudelot, Jean-Pierre Faguer, Sandrine Garcia, Mihai Gheorghiu, et Anne-Marie Waser pour leur témoignage : ainsi que Gabrielle Balazs, Jérôme Bourdieu, Christophe Charle, Julien Duval et Oliver Nette pour leurs lectures de versions antérieures de cet article.

- « La cause de la science », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 106-107, mars 1995, p. 3.

- Pour l’instant, je n’ai pas pu consulter la correspondance de Bourdieu déposée dans le Fonds Pierre Bourdieu.

- Pierre Bourdieu, « L’objectivation participante », Actes de la recherche en sciences sociales, n°150, 2003.

- Pour un modèle du genre consacré à la période fondatrice : Julien Duval, Johan Heilbron et Pernelle Issenhuth, Pierre Bourdieu et l’art de l’invention scientifique, Enquêter au Centre de sociologie européenne (1959-1969), Classiques Garnier, 2022. Concernant La Misère du monde, voir l’article de Patrick Champagne dans Gisèle Sapiro (dir.), Dictionnaire international Bourdieu, CNRS éditions, 2020. Pour une critique contemporaine de la méthodologie adoptée dans cet ouvrage : Nonna Mayer, « L’entretien selon Pierre Bourdieu. Analyse critique de La Misère du monde », Revue Française de sociologie, 1995, 36-2. Enfin et pour une comparaison avec les enquêtes ethnographiques sur « la misère » réalisées aux États-Unis : Loïc Wacquant, Misère de l’ethnographie de la misère, Raisons d’agir, 2023.

- Cf. Pierre Bourdieu, Sociologie générale, cours au Collège de France 1983-1986, volume 2, 2016.

- Cf. Jacques Bouveresse, Le Philosophe chez les autophages, Minuit, 1984, p. 182.

- Cf. L’Idéologie allemande, Éditions sociales, 1982, p. 83.

- En France, une des particularités de la sociologie est qu’en second et troisième cycle elle attire beaucoup d’étudiants venant d’ailleurs. Lesquels prennent donc une part croissante dans cette discipline et y importent alors leurs préoccupations. Cf. Gérard Mauger et Charles Soulié, « Le recrutement des étudiants en lettres et sciences humaines et leurs objets de recherches », Regards Sociologiques, n°22, 2001, p. 28.

- Cité par Marc Bloch dans Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Armand Colin, 1997, p. 40.

- Concernant cette crise qui joue un rôle décisif dans mon glissement de la philosophie à la sociologie et me conduit à fabriquer (en amateur) mon premier questionnaire : Cf. Charles Soulié, « L’enseignement de la philosophie à l’université : une pratique sous contrainte structurale. La crise de 1986 à l’U.F.R de philosophie de Paris I », Les Cahiers du GERME, n°22-23-24, 4èm trimestre 2002.

- Afin de pouvoir consacrer suffisamment de temps à ses recherches, Bourdieu évitait d’inscrire trop de doctorants et les choisissait soigneusement. L’étude de la liste de ses 43 docteurs parmi lesquels à notre connaissance on ne rencontre que deux anciens élèves de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et un de celle de Fontenay Saint Cloud permet de distinguer trois périodes. La première va de 1968 à 1982, année de son entrée au Collège de France, elle rassemble plus des deux tiers des thèses soutenues. Il cesse alors de prendre de nouveaux inscrits sachant que la rupture (douloureuse) avec Luc Boltanski et son équipe arrive au milieu des années 80, puis commence à en reprendre à la fin des années 80. Ces variations influent notamment sur la composition de ses séminaires, leur dynamique, etc. À titre de comparaison, signalons que Michel Foucault avec lequel il se comparait parfois en séminaire ne fera soutenir qu’une seule thèse (en 1976) et Gilles Deleuze treize. Cf. Agence bibliographique de l’enseignement supérieur, Cdrom Docthèses 1998.

- Cf. La fabrique des philosophes ou des usages sociaux de l’U.F.R de philosophie de Paris I. Le jury était constitué de Christian Baudelot, Pierre Bourdieu, Christophe Charle, Jean-Claude Combessie et Françoise Dastur. Une étude des jurys de thèses serait très éclairante pour décrire le réseau académique sur lequel pouvait alors compter Bourdieu. Pour une étude de ce genre : Olivier Godechot, Nicolas Mariot, « Les deux formes du capital social. Structure relationnelle des jurys de thèse et recrutement en science politique », Revue française de sociologie, 45-2, 2004.

- Il s’agit notamment, mais la liste n’est pas exhaustive, de : Sandrine Garcia, Bernard Lehmann, Philippe Mary, Hughes Ollivier, Grazia Scarfo et Anne-Marie Waser. Cette dernière une fille d’entrepreneur d’origine alsacienne, professeure d’éducation physique et sportive dans le secondaire et qui en 1991 soutient un doctorat consacré à la pratique du tennis était la plus ancienne des inscrites en thèse avec Bourdieu et elle joue un rôle central dans la constitution de ce groupe informel auquel participent aussi de temps à temps : Patrick Bruneteaux, Jean-Christophe Dontevieux, Christophe Gaubert, Bertrand Geay, Niilo Kauppi, Boubacar Niane, Patrick Trabal ainsi que des étudiants français et étrangers de passage.

- Rappelons ainsi que dans Le Métier de sociologue qui paraît donc en pleine vague structuraliste et scientiste, Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron n’hésitent pas à écrire que : « C’est peut-être la malédiction des sciences de l’homme que d’avoir à faire à un objet qui parle. » (Mouton/Bordas, 1968, p. 64). Pour une mise en perspective historique de ce moment épistémologique : Charles Soulié, « De l’étude des mots à l’étude des choses », in Christophe Charle, Laurent Jeanpierre (dir.), La Vie intellectuelle en France, II : De 1914 à nos jours, Seuil, 2016.

- Je suis alors les séminaires de Pierre Bourdieu, Monique de Saint-Martin, Louis Pinto, Gérard Mauger et Jean-Claude Combessie. Signalons aussi que lors de certaines rentrées universitaires, Bourdieu propose une liste de séminaires à suivre à l’École ou ailleurs.

- On retrouve alors des similitudes avec l’apprentissage autodidacte aux méthodes de la sociologie des premières générations de sociologues des années 1960/70 décrit par Christophe Charle: « Cela pourrait paraître banal maintenant, mais ce qui est spécifique c’est que les sociologues concernés apprenaient beaucoup sur le tas. Certain(e)s étaient recrutés à peine sortis de leurs études ou encore en phase d’étude, comme les étudiants qui ont participé à la remise de questionnaires à l’université ou dans les musées. La transmission par les plus aguerris (eux-mêmes en partie autodidactes ou récents enquêteurs) constituait un élément essentiel du dispositif, d’où le recours constant aux métaphores du métier et de l’artisanat (type maître et compagnon) dans l’autoreprésentation des chercheurs, à l’opposé de la vision taylorienne qui prévalait au même moment dans les laboratoires de sciences expérimentales des universités ou du CNRS et importée de la sociologie étasunienne selon la tradition de Lazarsfeld. » Cf. « « L’inconscient c’est l’histoire » (P. Bourdieu), L’histoire des sociologues comme sociologie critique », Zilsel, n°11, novembre 2022, p. 410.

- Afin de pouvoir répondre aux appels d’offres, certains d’entre nous créeront ainsi en avril 1992 une association dénommée Recherches et sociétés dont le siège social est situé chez Anne-Marie Waser.

- Pour un exemple de « l’anti bourdieusisme » primaire régnant alors dans certaines zones du monde académique : Jeanine Verdès-Leroux, Le Savant et la politique : essai sur le terrorisme sociologique de Pierre Bourdieu, Grasset, 1998. Mais on peut aussi lire l’article plus tardif de Didier Lapeyronnie : « L’académisme radical ou le monologue sociologique. Avec qui parlent les sociologues ? », Revue française de sociologie, 2004/4, vol. 45.

- Cf. « Discours de réception de la médaille d’or du CNRS », Regards sociologiques, n°47/48, 2018, p. 10. Dans ce même numéro, Loïc Wacquant propose une étude de cette cérémonie : « Bourdieu 1993 : une étude de cas sur la consécration scientifique ».

- Il me semble que cette stigmatisation est redoublée dans le cas des docteurs étrangers, travaillant sur des sujets « étrangers » (soit souvent sur leur pays d’origine), qui publient rarement leur thèse en France et valorisent généralement leur diplôme français dans leurs pays. Concernant la très faible proportion de docteurs étrangers recrutés dans l’université française et plus

généralement son gallocentrisme intellectuel : Charles Soulié, « Des déterminants sociaux des pratiques scientifiques en sciences sociales: étude des sujets de recherches des docteurs en sciences sociales en France au début des années 1990 », Regards sociologiques, n°31, juin 2006.

- Cf. Pierre Bourdieu, « A dominaçao », in Ione Ribeiro Valle et Charles Soulié organizaçao, Pierre Bourdieu, uma sociologia ambiciosa da educaçao, editora ufsc, 2019.

- Cf. Brice Le Gall et Charles Soulié, « Note démographique. Sociologie et philosophie, étude comparée de leurs évolutions sociodémographiques », Regards sociologiques, n° 36, 2008, p. 44.

- Il faut dire aussi qu’en raison de la très forte concentration de la recherche comme des « grands noms » de la discipline en région parisienne, la majorité des thèses de sociologie sont soutenues dans cette région. Région qui « aspire » ainsi les provinciaux ayant une vocation pour la sociologie, tandis que la majorité des postes d’enseignants chercheurs sont en province, la sociologie comptant une plus forte proportion d’étudiants en 1er cycle que les disciplines lettrées traditionnelles (philosophie, lettres, histoire, etc.). Ce dualisme structurel visible dans bien d’autres pays centralisés alimente ensuite les accusations de « localisme » qui au demeurant valent aussi pour les universités de la capitale qui, généralement, recrutent d’abord leurs propres docteurs.

- Nous réalisons des entretiens avec Philippe Cibois, Jean-Paul Géhin, Bertrand Mary, Paul Rendu et Bernard Woehl.

- La Caisse des dépôts et consignations est une institution financière publique française créée en 1816 chargée d’activités d’intérêt général pour le compte de l’État et des collectivités territoriales, ainsi que d’activités concurrentielles. À l’époque elle est dirigée par Robert Lion, un énarque, ancien directeur de cabinet du premier ministre Pierre Mauroy en 1981/82, soit lors de la période réformatrice du premier septennat de François Mitterrand. La Caisse est aussi un des mécènes institutionnels de la recherche historique et de Liber, la revue internationale des livres animée alors par Pierre Bourdieu. Je remercie Christophe Charle pour ces précisions soulignant le soutien de cette banque d’État à la recherche en sciences sociales.

- Archives du Centre de sociologie européenne, 119 EHE, carton n°418. « Note de la réunion fin juin 1990 sur le projet d’enquête « Malaises » », p. 2.

- Archives Pierre Bourdieu, « Enquête Misère du monde », 3.3.9.1.1, 1 ARCH 594.

- « Note de la réunion fin juin 1999… », ibid, p. 5.

- Ibid, p. 1.

- Ibid, p. 5 et 6.

- Rappelons que c’est en décembre 1989 et dans un contexte de polémiques autour de l’accueil des étrangers en France que Michel Rocard prononce cette phrase devenue mémorable selon laquelle « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. »

- « Enquête malaise (novembre 1990) », p. 5. Archives du CSE, 199 EHE, carton 418.

- Intervention de Pierre Bourdieu au colloque du 25 octobre 1990 de la Caisse des dépôts, p. 3. Archives du CSE, 199 EHE, carton 418.

- Cf. Jacques Maître, L’autobiographie d’un paranoïaque. L’abbé Berry (1878-1947) et le roman de Billy. Introibos, Economica, 1994, p. XVIII.

- Concernant l’évolution des modalités comme des sujets d’intervention politique de Pierre Bourdieu, rappelons qu’en 1985 il avait contribué à un rapport des professeurs du Collège de France intitulé Propositions pour l’enseignement de l’avenir et remis au président de la République de l’époque (François Mitterrand). Puis qu’en 1989 il rédige avec François Gros un rapport intitulé Principes pour une réflexion sur les contenus d’enseignement. Lequel devait conduire à une réforme des programmes d’enseignements de l’enseignement secondaire. Mais ces rapports centrés sur un sujet (le système scolaire) qu’il connaissait pourtant particulièrement bien n’auront que très peu d’effets politiques, ce qui l’affectera beaucoup. Concernant l’engagement de Pierre Bourdieu dans le mouvement social de décembre 1995 et la fracture du monde intellectuel qu’il réactive, voir l’ouvrage de doctorants du Centre de sociologie européenne

et du Centre de sociologie urbaine d’une génération un peu postérieure à la notre : Julien Duval, Christophe Gaubert, Frédéric Lebaron, Dominique Marchetti et Fabienne Pavis, Le « décembre » des intellectuels français, Raisons d’agir, 1998. En raison de la perte de crédit scientifique que celui-ci pouvait provoquer, l’engagement politique de plus en plus visible de Pierre Bourdieu et qui le conduira par exemple à signer un nombre croissant de pétitions ne sera pas sans lui poser problème.

- « Note de la réunion fin juin 1990… », ibid, p. 4.

- Cf. « Les déshérités de Bourdieu », entretien de Pierre Bourdieu avec Robert Maggiori et Jean-Baptiste Maronghiu, Libération, 11 février 1993, p. 21.

- « Note de la réunion fin juin 1990… », ibid, p. 3.

- Cf. Rapport d’étape du 27 juin 1991 à la Caisse des dépôts, Premier bilan de l’enquête sur le « malaise social », p. 10. Archives Pierre Bourdieu, 1 ARCH 657. Dans ce rapport, Bourdieu explique aussi que lors de cette enquête il a fait une découverte corrigeant Max Weber et selon laquelle la bureaucratie ne peut fonctionner que si on transgresse ses règles. Sinon, elle est exposée à « la paralysie ». D’où poursuit-il la nécessité « d’acteurs héroïques », proposition qu’il corrige immédiatement en ajoutant : « mais on ne peut pas fonder l’ordre sur l’héroïsme » (p. 12). À lire ces lignes, on ne peut s’empêcher de penser au portrait que Bourdieu tracera plus tard de son père (un employé des Postes déclassé vers le haut qui toute sa vie aidera les autres - et notamment les plus démunis - dans leurs démarches administratives) dans son Esquisse pour une auto-analyse (Raisons d’agir, 2004, p. 109 et suivantes). D’où sans doute aussi l’expression de « formulaire révolver » parfois employée lors de l’enquête malaise pour souligner le caractère particulièrement violent du remplissage des formulaires administratifs pour les populations les plus démunies scolairement.

- Dans le rapport d’étape du 27 juin 1991, Bourdieu signale ainsi avec enthousiasme que : « Après certains entretiens, j’avais l’impression d’être comme un guérisseur. » Ibid, p. 5. Le dialogue socratique qui l’inspire plus particulièrement est celui du Ménon où, souligne-t-il, c’est un esclave qui grâce aux questions de Socrate (qu’il compare alors à un sociologue allant dans la rue pour procéder à des enquêtes) redécouvre des éléments de géométrie.

- Cf. Francine Muel-Dreyfus, « Une écoute sociologique de la psychanalyse », in Pierre Encrevé, Rose-Marie Lagrave (dir.), Travailler avec Bourdieu, Flammarion, 2003, p. 232.

- Cf. Rapport d’étape, ibid, p. 4. À notre connaissance, trois entretiens au moins seront filmés : un de Pierre Bourdieu avec un « jeune beur », un de Gabrielle Balazs et Rosine Christin avec une professeure de collège et un avec une hôtesse.

- « Séminaire enquête du 31 janvier 1991 », p. 2 Archives Pierre Bourdieu, 1 ARCH 590.

- Séminaire de l’EHESS du 13 février 1992. Concernant la question de « la conciliation des contraires » : Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Raisons d’agir, 2001, p. 216.

- « Rapport d’étape », ibid, p. 4. L’exploration des archives révèle aussi que des statistiques, travaux relatifs à la consommation de drogue, d’alcool, tranquillisant, mais aussi au suicide, sont collectés par Claire Givry afin de disposer d’indicateurs « d’anomie » comme de « souffrance sociale » et qu’à un moment il est même envisagé d’insérer deux, trois tableaux statistiques dans La Misère du monde. De même, signalons qu’en début d’enquête, il est question de faire des monographies sur des institutions prenant en charge « le malaise », ou « la souffrance des gens ». Par exemple sur l’association SOS adolescents, ou encore sur l’émission de radio de Ménie Grégoire où des auditeurs prennent la parole pour confier leur souffrance personnelle. Émission sur laquelle travaille alors le sociologue Smain Laacher présent au tout début de l’enquête et qui disparaîtra ensuite.

- « Note de la réunion fin juin 1999… », ibid, p. 3.

- « Enquête « malaises » », octobre 1990, p. 4. Archives du CSE, 199 EHE, carton 118.

- Cf. Le déracinement, la crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Minuit, 1964. Selon Francine Muel-Dreyfus qui contribue aussi à La Misère du monde : « La place de Sayad au sein du groupe de chercheurs que Bourdieu se plaisait à dénommer « intellectuel collectif » a été très importante. L’entreprise de « la misère du monde » n’aurait sans doute pas vu le jour sans les

acquis des enquêtes par entretiens qu’il avait menées depuis les années 1975 dans le cadre du Centre de sociologie de l’éducation et de la culture. Elles ont servi de modèle pour les entretiens qualitatifs qui ont constitué le matériel « socioanalytique » de cette enquête. » Cf. « Avec Sayad, leçons de socioanalyse », Hommes & Migrations, n° 1339, octobre-décembre 2022, p. 126. Fait notable, Francine Muel-Dreyfus signale aussi qu’à l’origine Sayad était psychologue de formation. En effet, il fera déjà une licence de psychologie à l’université d’Alger.

- Pour un retour réflexif sur cette enquête : Christian Corouge, Michel Pialoux et Julian Mischi, « Engagement et désengagement militant aux usines Peugeot de Sochaux dans les années 1980 et 1990. Pourquoi la « Chronique Peugeot » de 1984-1985 parue dans Actes s’est-elle interrompue ? », Actes de la recherche en sciences sociales, n°196/197, 2013.

- Cf. Patrick Champagne, « La Misère du monde », in Gisèle Sapiro (dir.), Dictionnaire international Bourdieu, CNRS éditions, 2020, p. 576.

- « Note de la réunion fin juin 1990… », ibid, p. 7.

- Je dis bien « pour nous », car d’autres personnes comme Rosine Christin par exemple qui réalise un nombre considérable d’entretiens et qui avec Marie-Christine Rivière, la secrétaire de Bourdieu, travaille aussi beaucoup à la mise en page du livre jouent un rôle clef dans cette recherche. Un complément d’enquête s’imposerait afin de mieux saisir le rôle joué par chacun dans les coulisses de cette entreprise collective.

- Au final, chaque entretien retenu est payé 2000 francs. Pour donner un ordre d’idée, signalons qu’à sa parution La Misère du monde coûte 160 francs.

- Lors de cette enquête notre groupe de doctorants est réuni quatre ou cinq fois, sans compter les réunions bilatérales organisées autour de la discussion des entretiens produits par chacun. De même lors de certains séminaires, Bourdieu parle parfois de cette enquête.

- C’est notamment le cas de Sylvain Broccolichi, un doctorant inscrit avec Pierre Bourdieu qui en 1994 soutient une thèse sur « l’organisation de l’école », psychologue de profession, un peu plus âgé que nous et dont Bourdieu loue à maintes reprises le sens tant clinique que sociologique. Qui en collaboration avec son aînée Françoise Oeuvrard travaillant au ministère de l’Éducation nationale et que Bourdieu surnommait d’ailleurs « la vigie de l’Éducation nationale » publie aussi dans La Misère du monde un « texte théorique » portant sur le système scolaire (« L’engrenage »), la publication de ce type de texte étant généralement l’apanage des chercheurs plus âgés et plus confirmés, des hommes, etc.

- Cf. Pierre Bourdieu (dir.), La Misère du monde, Seuil 1993, p. 921, note 16.

- Dans les archives, nous n’avons retrouvé que 45 entretiens, contributions non retenus. Il semble aussi qu’au début des participants (qui disparaitront d’ailleurs assez rapidement) profitent de l’occasion pour proposer des entretiens déjà réalisés avec des personnes de leur terrain et dont ils estiment qu’elles sont en situation de malaise social (par exemple avec des chômeurs), mais n’entrant pas vraiment dans le cadre de l’enquête tel qu’il se définit peu à peu.

- Cf. Julien Duval, « L’entremêlement de la sociologie et des mathématiques », in Julien Duval, Johan Heilbron et Pernelle Issenhuth, Pierre Bourdieu et l’art de l’invention scientifique, Classiques Garnier, 2022, p. 339.

- Concernant les questions de visibilité, signature fortement déterminées par la position occupée par chacun dans la division du travail scientifique, voir l’ouvrage de Gilles Laferté, Paul Pasquali et Nicolas Renahy (dir.), Le Laboratoire des sciences sociales, histoire d’enquêtes et revisites, Raisons d’agir, 2018. Ainsi que celui de Françoise Waquet : Dans les coulisses de la science, techniciens, petites mains et autres travailleurs invisibles, CNRS éditions, 2022.

- Dans les archives, nous avons trouvé trace d’une vingtaine d’adaptations différentes de La Misère du monde, dont une intégrale se déroulant à la Cartoucherie de Vincennes les 16, 17 et 18 juin 1995 et qui mobilise une centaine d’acteurs, metteurs en scène.

- Cf. Archives Pierre Bourdieu, 1 ARCH 662/2.

- Toujours dans les archives, on retrouve une série de plans intermédiaires dont un « Montage fantôme du livre » daté du 19 décembre 1991, ainsi qu’un autre postérieur qu’on pourrait qualifier de plus « scolaire » car s’inspirant très directement du canon méthodologique du Métier de sociologue (1 La construction sociale de la réalité. 2 Les contradictions de la politique de la pauvreté. 3 La construction scientifique de l’objet.). Plans dont on note qu’ils ont peu à voir avec le plan final (Archives Pierre Bourdieu, 1 ARCH 668). Mais en tant qu’étudiant, nous ne serons pas associés à cette étape du processus éditorial qui n’apparaît guère aussi dans les archives. D’où notre étonnement, mais aussi émerveillement, fierté quand, recevant par la poste notre « exemplaire auteur », nous découvrons le résultat final de l’enquête.

- À partir de cette date, Gabrielle Balazs joue un rôle central dans la vie de cette revue.

- Signalons que c’est en septembre 1992 que Bourdieu publie Les Règles de l’art, ouvrage où il se livre à une étude sociologique du projet esthétique de Flaubert.

- Cf. La Vie comme un livre. Mémoires d’un éditeur engagé, éditions Philippe Rey, 2020, p. 202.

- Cité par Thierry Gandillot dans « La misère de Bourdieu, Les damnés de la France », Le Nouvel observateur, 10 mars 1993, p. 92.

- Sachant aussi que le fait de retenir, ou de rejeter, tel ou tel entretien renvoie aussi à des contingences d’ordre pratique souvent ignorées par les enquêteurs non associés à cette étape du processus éditorial et par exemple au fait que telle problématique, profession, etc., est déjà couverte, ou non, par un autre entretien. Mais aussi à des questions de place (à un moment, il est question de faire passer l’ouvrage de 1000 à 800 pages…).

- Signalons que cette inflexion vers le « spirituel » se retrouve ensuite dans d’autres disciplines. Et par exemple en psychanalyse, mais via plutôt l’influence de Michel Foucault et de Pierre Hadot, deux autres professeurs du Collège de France : Cf. Jean Allouche, La Psychanalyse est-elle un exercice spirituel ? Réponse à Michel Foucault, Editions EPEL, 2007.

- Cf. Pierre Bourdieu, La Misère du monde, op. cit, p. 910 et 914.

- Cf. Esquisse pour une auto-analyse, Raisons d’agir, 2004.

- Rappelons ici que Pascal, un penseur chrétien rigoureux, particulièrement sensible à la question du relativisme culturel et mathématicien, dont Bourdieu se sentait très proche est notamment l’auteur de cet aphorisme célèbre selon lequel : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. »

- Pour une description du rôle de « coach » scientifique joué par Bourdieu : Yves Winkin, « Bourdieu entraîneur », in Gérard Mauger (dir.), Rencontres avec Pierre Bourdieu, Éditions du Croquant, 2005.

- Concernant la part (souvent invisibilisée) du travail des femmes dans la production scientifique : Françoise Waquet, Dans les coulisses de la science, op. cit. Et plus spécialement le chapitre 3 « La composante féminine ».

- Le 11 mai 1998 Stéphane Beaud, ex enseignant à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et auteur avec Florence Weber d’un manuel d’enquête qui rencontrera un fort succès (Guide de l’enquête de terrain, La Découverte, 1997), intervient dans le séminaire de Pierre Bourdieu pour parler de l’agrégation de sciences sociales. Et Bourdieu souligne alors que ce type de concours n’est pas le meilleur moyen pour sélectionner, former des chercheurs.

Publicado

2023-08-29

Como Citar

SOULIÉ, C.; CUNHA, M. A. de A. LA MISERE DU MONDE: TEMOIGNAGE D’UN ENQUETEUR ETUDIANT. Revista Inter-Ação, Goiânia, v. 48, n. 2, p. 282–306, 2023. DOI: 10.5216/ia.v48i2.77132. Disponível em: https://revistas.ufg.br/interacao/article/view/77132. Acesso em: 12 maio. 2024.